Nombres entiers naturels puissants consécutifs

Un entier naturel n est appelé nombre puissant lorsque, pour tout diviseur premier p de n, le carré p^{2} divise n.

Par exemple, étant donné un nombre premier p et un entier m\geq 2, l’entier n=p^{m} est un nombre puissant. En effet, p est l’unique diviseur premier de n, et p^{2} est un diviseur de n=p^{2}\times p^{m-2}. En particulier, 4, 8 et 9 sont des nombres entiers naturels puissants, attendu que

\displaystyle 4=2^{2}, \qquad 8=2^{3} \qquad\text{ et }\qquad 9=3^{2}.

Toutefois, l’entier 12=2^{2}\times 3 n’est pas un nombre puissant, car il n’est pas divisible par 9, le carré de 3, l’un de ses deux diviseurs premiers.

Une analyse rapide et triviale permet d’établir que 0, 1, 4, 8 et 9 sont les seuls nombres entiers naturels puissants inférieurs à 10. Il saute du reste aux yeux que 0 et 1, comme 8 et 9, sont des nombres entiers puissants consécutifs.

Dans la suite de cette note, nous allons démontrer qu’il existe une infinité de couples de nombres entiers consécutifs puissants. À cet effet, nous considérons l’équation

\displaystyle x^{2}-8y^{2}=1, \qquad\qquad\qquad \mathbf{(E)}

où les inconnues x et y sont des entiers naturels.

Les couples (1,0) et (3,1) sont des solutions de l’équation \mathbf{(E)}, puisque

\displaystyle 1^{2}-8\times 0=1 \qquad\text{ et }\qquad 3^{2}-8\times 1^{2}=9-8=1.

Étant donné la matrice

\displaystyle A=\left(\begin{array}{l@{\quad}r} 3 & 8 \\[6pt] 1 & 3\end{array}\right),

soient les suites (x_{n})_{n\in\mathbb{N}} et (y_{n})_{n\in\mathbb{N}} définies par x_{0}=1 et y_{0}=0, puis

\displaystyle \left(\begin{array}{c}x_{n+1} \\[6pt] y_{n+1}\end{array}\right)=A\left(\begin{array}{c}x_{n} \\[6pt] y_{n}\end{array}\right).

La proposition suivante révèle un trait de ces suites.

Proposition 1. Pour chaque entier naturel n, le couple (x_{n},y_{n}) est une solution de l’équation \mathbf{(E)}.

Preuve. Nous avons vu en amont que le couple (x_{0},y_{0})=(1,0) est une solution de \mathbf{(E)}. Maintenant, supposons que (x_{n},y_{n}) est une solution de \mathbf{(E)} pour un entier naturel n quelconque. Alors, x_{n}^{2}-8y_{n}^{2}=1. En outre, par définition,

\displaystyle \left(\begin{array}{c}x_{n+1} \\[6pt] y_{n+1}\end{array}\right)=\left(\begin{array}{l@{\quad}r} 3 & 8 \\[6pt] 1 & 3\end{array}\right)\left(\begin{array}{c}x_{n} \\[6pt] y_{n}\end{array}\right)=\left(\begin{array}{c}3x_{n}+8y_{n} \\[6pt] x_{n}+3y_{n}\end{array}\right).

De ce fait,

\displaystyle x_{n+1}^{2}-8y_{n+1}^{2}=(3x_{n}+8y_{n})^{2}-8(x_{n}+3y_{n})^{2}

et

\displaystyle x_{n+1}^{2}-8y_{n+1}^{2}=9x_{n}^{2}+48x_{n}^{2}y_{n}^{2}+64y_{n}^{2}-8(x_{n}^{2}+6x_{n}^{2}y_{n}^{2}+9y_{n}^{2}),

puis

\displaystyle x_{n+1}^{2}-8y_{n+1}^{2}=9x_{n}^{2}-8x_{n}^{2}+48x_{n}^{2}y_{n}^{2}-48x_{n}^{2}y_{n}^{2}+64y_{n}^{2}-72y_{n}^{2}.

D’où x_{n+1}^{2}-8y_{n+1}^{2}=x_{n}^{2}-8y_{n}^{2}=1. Le couple (x_{n+1},y_{n+1}) est une solution de \mathbf{(E)}. Eu égard à la règle de récurrence, il en résulte que le couple (x_{n},y_{n}) est une solution de \mathbf{(E)} pour tout entier n. \quad\Box

La proposition suivante est focalisée sur la première des deux suites définies ci-dessus.

Proposition 2. La suite (x_{n})_{n\in\mathbb{N}} possède exclusivement des termes strictement positifs. Elle est du reste strictement croissante.

Preuve. À l’évidence, x_{0}=1>0 et y_{n}\geq 0 pour tout n\in\mathbb{N}. D’après la règle de raisonnement par récurrence, et eu égard à l’égalité x_{n+1}=3x_{n}+8y_{n}, il en résulte que

x_{n}>0 \qquad\text{ et }\qquad x_{n+1}-x_{n}=2x_{n}+8y_{n}\geq 2x_{n}>0

pour chaque entier naturel n. Ceci conclut la preuve de la proposition 2. \quad\Box

Le résultat suivant est un corollaire des propositions 1 et 2.

Proposition 3. L’équation \mathbf{(E)} admet une infinité de solutions.

Preuve. Soit S l’ensemble des solutions de \mathbf{(E)} et V l’ensemble des valeurs prises par la suite (x_{n},y_{n})_{n\in\mathbb{N}}. Alors, V\subseteq S, d’après la proposition 1. Au demeurant, l’application

\displaystyle f:\mathbb{N}\rightarrow V,\ \,n\mapsto (x_{n},y_{n}),

est injective, car la suite (x_{n})_{n\in\mathbb{N}} est strictement croissante (voir la proposition 2). De ce fait, f est une bijection. L’ensemble \mathbb{N} des entiers naturels, notoirement infini, a donc le même cardinal que l’ensemble V. Ce dernier est par conséquent infini, au même titre que l’ensemble S qui le contient.  \quad\Box

À présent, nous revenons au sujet principal de ce texte: les nombres entiers naturels puissants.

Proposition 4. Soient a et b des entiers naturels. Alors, l’entier n=a^{2}b^{3} est un nombre puissant.

Preuve. Soit p un diviseur premier de n. Alors, p divise a^{2} ou b^{3}. Ceci entraîne p|a ou p|b, c’est-à-dire l’existence d’un entier k tel que a=pk ou b=pk. D’où

\displaystyle n=p^{2}k^{2}b^{3} \qquad\text{ ou }\qquad n=p^{2}a^{2}pk^{3}.

En tout état de cause, si p est un diviseur premier de n, alors p^{2} divise également n. Ceci signifie que n est un nombre entier puissant. \quad\Box

Dans le sillage de l’évocation de ce groupe de nombres entiers puissants, il sied de révéler une famille pertinente de couples de nombres entiers puissants consécutifs. Tel est le dessein du résultat suivant.

Proposition 5. Si un couple (x,y) est solution de l’équation \mathbf{(E)}, alors x^{2}-1 et x^{2} sont des nombres puissants.

Preuve. Soit le couple (x,y) une solution de l’équation \mathbf{(E)}. Alors, x^{2}-8y^{2}=1, c’est-à-dire x^{2}-1=8y^{2}=a^{2}b^{3}, où a=x et b=2. De ce fait, l’entier x^{2}-1 est un nombre puissant, en vertu de la proposition 4. Il en est de même pour x^{2}, car x^{2}=a^{2}b^{3} avec a=x et b=1. Les entiers x^{2}-1 et x^{2}, manifestement consécutifs, sont donc des nombres puissants. \quad\Box

La moisson ainsi engrangée permet d’aborder sereinement la problématique du cardinal de l’ensemble des couples des nombres entiers puissants consécutifs.

Proposition 6. Il existe une infinité de couples de nombres entiers puissants consécutifs.

Preuve. Soit A l’ensemble des couples des nombres entiers puissants consécutifs. Alors, nous avons par exemple (0,1)\in A et (8,9)\in A. Du reste, selon les propositions 1 et 5, pour chaque entier naturel n, le couple \bigl(x_{n}^{2}-1,x_{n}^{2}\bigr)\in A, où (x_{n})_{n\in\mathbb{N}} est la suite définie ci-dessus. La correspondance

\displaystyle \mathbb{N}\rightarrow A, \ \,n\mapsto\bigl(x_{n}^{2}-1,x_{n}^{2}\bigr),

est donc une application bien définie. Elle est en outre injective, attendu que la suite (x_{n})_{n\in\mathbb{N}} est strictement croissante. Par conséquent, l’ensemble A a une partie de même cardinal que \mathbb{N}. Il en résulte que A a une infinité d’éléments. \quad\Box

Ce texte est basé sur l’Exercice 4 de l’épreuve de mathématiques du baccalauréat général 2018, série S, enseignement de spécialité, en France métropolitaine et à La Réunion. Il mobilise de plus des éléments de logique mathématique et de théorie des nombres, exposés dans le Volume I du Discours formel sur les mathématiques pour le secondaire.

Pour plus d’exercices d’arithmétique, consultez l’ouvrage suivant : 

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